Optimisation Topologique de Structures par Homogénéisation

G. Allaire, S. Aubry, E. Bonnetier et F. Jouve (1998)

L'optimisation de structures est une des préoccupations essentielles pour la conception des sytèmes dans l'industrie mécanique (génie civil, aéronautique, automobile). Les bureaux d'études ne se contentent pas d'améliorer les performances mécaniques des pièces qu'ils conçoivent, mais ils cherchent également à optimiser leur poids, leur encombrement, leur coût de réalisation.

Le problème qui nous intéresse ici - crucial dans beaucoup d'applications industrielles - est de trouver une forme de la structure qui réalise le meilleur compromis entre sa résistance et son poids.

Habituellement, on procède par essais successifs, en testant des prototypes dont le design relève du savoir faire et de l'intuition de l'ingénieur. Cette façon de faire <<manuelle>> est très coûteuse et imprécise. De plus en plus, elle est remplacée par des logiciels de modélisation mumérique et d'optimisation, qui permettent d'analyser de nombreuses possibilités sans avoir à fabriquer de prototypes et qui automatisent la recherche de la forme optimale.

Dans les codes de calcul usuels, cette automatisation est obtenue en représentant la forme par un nombre limité de paramètres descriptifs (généralement des points de contrôle sur les bords), et l'analyse des variations des performances par rapport à ces paramètres permet d'améliorer itérativement une forme initiale.

Cependant ces méthodes, dites d'analyse de sensibilité, présentent deux inconvénients majeurs. Elles sont en effet très coûteuses en temps de calcul car, si la forme s'éloigne trop de la géométrie initiale, il peut être nécessaire de modifier la discrétisation au cours des itérations. Par ailleurs, et c'est là leur plus grave défaut, le résultat obtenu dépend fortement du choix initial et de la finesse de la représentation. Les formes successives ne varient que par leur frontière, tandis que leur topologie reste fixe : la structure garde le même nombre de composantes, de bords et de trous, et la taille de ces derniers est limitée par la taille du maillage.

Or, comme l'ont montré de nombreux exemples, des variations de topologie peuvent permettre des gains de performance significatifs. Par ailleurs, dans les problèmes industriels complexes, il est très difficile, voire impossible, de choisir a priori la topologie optimale.

C'est pourquoi nous proposons une nouvelle méthode dite d'optimisation topologique par homogénéisation. Celle-ci permet d'optimiser automatiquement une structure sans restriction explicite ou implicite sur sa topologie, et évite les aléas numériques intrinsèques aux méthodes classiques, pour un coût de calcul très compétitif.

Principe de la méthode :

Le problème le plus simple consiste à minimiser le poids d'une structure élastique, soumise à une ou plusieurs sollicitations, tout en respectant une contrainte mécanique (typiquement une borne maximale sur le travail des forces extérieures qui représente une mesure de rigidité globale). A l'intérieur d'un domaine de travail fixé, qui permet de tenir compte de contraintes d'encombrement, n'importe quelle forme est autorisée. Il n'y a donc aucune restriction sur les formes admissibles et le nombre de paramètres de design est illimité. En d'autres termes, cela revient à rechercher la répartition optimale de la matière et des trous dans ce domaine.

Malheureusement, ce problème d'optimisation n'admet en général pas de solution si l'on n'élargit pas le cadre mathématique dans lequel il est naturellement formulé. D'un point de vue mécanique, cela s'explique par le fait qu'il est souvent plus avantageux de creuser, pour un même volume de matériau, un nombre infiniment grand de trous infiniment petits, plutôt que quelques gros trous. Dans les calculs numériques, ce phénomène se traduit sous la forme d'instabilités du résultat lorsque le maillage est modifié ou raffiné.

Pour remédier à ces difficultés, il faut relaxer le problème en généralisant la notion de structure. Puisque les structures fines sont avantageuses, on s'autorise l'utilisation de matériaux composites obtenus par micro-perforation du matériau original, pour construire la forme optimale.

Une forme ou structure généralisée est représentée, en chaque point, par une densité de matériau et par les propriétés mécaniques effectives du composite. Celles-ci dépendent fortement de la microstructure, c'est-à-dire de l'arrangement et de la forme des trous, ou pores, à l'échelle microscopique. La théorie de l'homogénéisation permet de calculer ces propriétés effectives et ensuite de déterminer la microstructure optimale, qui est, en chaque point, la plus rigide sous l'action d'un champ de contraintes donné.

Cette relaxation par homogénéisation donne le bon cadre mathématique : on a transformé le problème de la recherche d'une structure composée de matériau et de trous, en celui de la recherche d'une structure composée en plus de matériau poreux. Les nouvelles inconnues sont, en chaque point, la densité de matériau poreux et sa microstructure. Dans la nouvelle formulation, la taille des trous n'est plus limitée par le pas du maillage.

Bien sûr, la structure optimale peut comporter de larges zones composites de densité intermédiaire. Cependant, on sait comment la remplacer a posteriori par une forme classique (sans composite) aux performances proches et quasi-optimales pour obtenir ainsi un objet utilisable en pratique. Les exemples de l'utilisation de microstructures ne manquent pas dans la nature. Citons pour mémoire les os, dont la nature poreuse est adaptée aux efforts, ou les constructions en nid d'abeille, bien connues pour leur légèreté et leur solidité.

L'utilisation de l'homogénéisation n'est pas seulement un artifice mathématique pour démontrer l'existence de formes optimales généralisées. Son importance va bien au delà car elle conduit à une nouvelle classe d'algorithmes numériques, dits d'optimisation topologique, qui optimisent la répartition de matière sans aucune contrainte topologique.

L'algorithme numérique :

L'algorithme que nous proposons se décompose en deux étapes : le calcul de la structure composite optimale, puis sa projection pour obtenir une forme classique.

La première étape de calcul utilise un algorithme itératif : successivement, on résoud un problème d'élasticité linéaire dans le domaine de travail, avec des paramètres de forme (densité, propriétés effectives des composites) donnés, puis, pour trouver les nouvelles valeurs de ces paramètres, on détermine la microstructure localement optimale à champ de contrainte donné, à l'aide des conditions d'optimalité. Comme l'étude de la formulation relaxée garantit l'amélioration de la performance à chaque itération, on répète cette séquence jusqu'à convergence.

Cette méthode est stable et coûte peu cher en deux comme en trois dimensions d'espace. En effet, la mise à jour des paramètres de forme s'effectue localement grâce à des formules analytiques, et les calculs d'élasticité sont effectués par éléments finis, après discrétisation du domaine de travail. La forme et sa topologie sont donc capturées sur un maillage fixe, au contraire des méthodes de sensibilité pour lesquelles le maillage suit la forme à topologie fixée. La convergence s'obtient en quelques dizaines d'itérations et est indépendante des conditions initiales.

La deuxième étape consiste à transformer la structure composite obtenue, en une forme classique, constituée uniquement de matériau pur. Pour ce faire, on pratique une pénalisation des composites : quelques itérations supplémentaires de l'algorithme de la première étape sont effectuées en forçant la densité à prendre des valeurs proches de 0 (trou) ou 1 (matériau pur). La forme finale ne contient plus de matériau composite, mais ses performances restent proches de l'optimum global donné par la première étape. Bien sûr, dans cette phase, la finesse du maillage conditionne la finesse des détails de la structure finale.

En fait, nous concevons notre méthode comme un procédé fournissant une première ébauche de la forme optimale, qui définit sa topologie. On peut ensuite la coupler avec des méthodes classiques d'analyse de sensibilité pour raffiner localement les structures sélectionnées. Cette méthode est très versatile puisqu'elle permet d'optimiser une pièce soumise à un ou plusieurs chargements, et éventuellement avec des contraintes sur ses fréquences propres de vibration.

Bibliographie

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